A BISTO DE NAS :
LE FRANCAIS DU SUD-OUEST
Bernard VAVASSORI
Service simple et pro
Créer un blogMerci aux amis et parents qui par leur langage coloré m'ont permis de réaliser ce dictionnaire ainsi qu'aux lecteurs d'Avé plaisir et d'A bisto de Nas qui, fâchés de voir que leur vocabulaire préféré ne figurait pas dans ce lexique m'ont encouragé à suggérer un addenda !
Merci donc à :
Arquier Robert-Paul (31 St-Germier) |
Astruc Aimé (31 St-Alban) |
Azéma Jeanine (34 Moulès et Beaucels) |
Bagioli Régine (82 Grisolles) |
Baitnès Bruno (11 St-Couat-d'Aude) |
Banel Liliane (31 Toulouse) |
Barthélémy Marcel (81 Florentin) |
Batigne Josette (31 Lapeyrouse-Fossat) |
Beauville Raymond (31 Toulouse) |
Bedos Mme (31 Villefranche de Lauragais |
Bellard Jean (57 Rozerieulles) |
Benoit Aude (81 Lavelanet) |
Bergonnier Jacques (31 Toulouse) |
Bézard Jacqueline (31 Pibrac) |
Bonnarel Jean (396 Arbois) |
Bories Bénédicte (31 Toulouse) |
Bou Françoise (31 Toulouse) |
Boulbes Raymond (09 Pamiers) |
Bourdet Jean (64 Bayonne) |
Bouzigues Monique (65 Bazordan) |
Boyals Henri (31 Toulouse) |
Bru Maurice (31 Toulouse) |
Cabos Jean-Louis (31 Aussonne) |
Calvet Nicole (31) |
Carenini Mme (31 Landorthe) |
Caster Bertrand (31 Toulouse) |
Caussé Valérie (31 Toulouse) |
Cros Louis (81 Albi) |
Curan Paul (65 Lanemezan) |
Dandine Nicolas (47 Villeneuve-sur-Lot) |
Dellac Jacques (82 Malause) |
Del Tedesco Luc (31) |
Deltell Sylvie (31 Launaguet) |
Ducasse Odile (93 Villemomble) |
Dufaud Christian (82 Montauban) |
Dupuy Aline (31 Toulouse) |
Duran Bernard (31 Blagnac) |
Estingoy M. (31 Toulouse) |
Gabrielli Régis (31 Aucamville) |
Garel M. et Mme (34 Montpellier) |
Gautran Marcel (81 Albi) |
Gibert Christine (82 Montauban) |
Gontier J-Claude (81 Gaillac) |
Grand Florence (31 Toulouse) |
Guillemain Michèle (18 Culan) |
Lacombe Paul et Jackie (34 Montpellier) |
Lacoste Madeleine (31 Villemur-sur-Tarn) |
Lagarde Famille (11 Villesiscle) |
Laujol Jacques (47 Agen) |
Laurine Jean (11 Arzens) |
Lescouzères JeanPaul (47 Marmande) |
Lucas Gilbert (Mme) |
Lustri Marie-Christine (62 Arras) |
Macary Huguette et Etienne (82) |
Mader Georges (31 Toulouse) |
Magni Paul et Josette (32 Lourties-Monbrun) |
Mazel Hervé (31 Toulouse) |
Martinet Jacques (47 Montayral) |
Molinier Alain (31-St-Alban ) |
Mongis Jean-Marie (37 Tours) |
Morales Maurice (47 Vianne) |
Morère Stéphane (31 Toulouse) |
Motta Emile et Colette (31 Toulouse) |
Ouhiaya Lucienne (31 Toulouse) |
Pasquier Christine (31 Bouloc) |
Pasquier Hortense (12 Mouret) |
Pasquier Paulette (31 Fenouillet) |
Pasquiès Marie-Hélène (31 St-Orens-de-Gameville) |
Peccola Mme (11 Caunes-Minervois) |
Pech Benoît et Nathalie (69 Lyon) |
Pech Xavier (31 Caraman) |
Penou Odette et Raymond (82 Montauban) |
Pin Claudie (31 Auterive) |
Pinson Gérard (971 Mayotte) |
Pomarède Claudia (Billère) |
Ramade Christine (Derrot) |
Ramière Serge (81 Mazamet) |
Renou Odette et Raymond (82 Montauban) |
Riffard Dr. (31 Toulouse) |
Roda Danielle (91 Yerres) |
Rouan Raoul (31 Toulouse) |
Rouquette Mme (81 Lavaur) |
Séguéla Christian (09 La Tour-du-Crieu) |
Souque André (09 St-Girons) |
Thuries Georgette (31 L'Union) |
Tourneux Isabelle et Christophe Riche (31 Toulouse) |
Trémolières Sandrine (81 Albi) |
Turon Dominique-Henriette (64 Nay) |
Turon-Clavère Marie-Hélène (65 Viella) |
Vanin Elvire (31 St-Gaudens) |
Vavassori Éliane (31 Fenouillet) |
Viacesses Serge (81 Albi) |
Villeneuve Robert et Claudine (31 Pibrac) |
Vincent-Viry Rolande (31 Toulouse) |
Voici le texte d'une lectrice, Françoise Blanc, où l'on retrouvera
un vocabulaire fleurant bon le Sud-ouest.
VACANCES A LA NAUZE *
La Nauze, c’est la maison de mon enfance ; celle où je n’ai jamais vécu mais celle dont je garde les souvenirs les plus tendres ; celle que je décrivais dans mes rédactions de collégienne, celle que j’ai encore envie d’évoquer… C’était la maison de mes grands parents, qui ne leur appartenait pas, mais qu’ils louaient pour y vivre ; pour moi, c’était celle des vacances vers laquelle nous revenions à la première occasion.
Elle est plantée au fond d’un petit vallon, entre coteau et ruisseau, à l’entrée de la ville, entre campagne et usines. Je reviens la voir parfois. Aujourd’hui, les usines sont fermées et la ville a grandi, mais coteau et ruisseau restent immuables et la maison, elle, n’a pas changé.
L’entrée, entre deux ormeaux et deux rangées de buis, ne supporte pas de portail fermé. A mi pente, la maison est plantée, arborant son charme intemporel. Sur la façade sud, une vieille glycine coiffe porte et fenêtres prodiguant depuis toujours son ombre bienfaisante. A quelques mètres, le puits avec sa roue en ferraille rouillée qui ne tourne plus. Je retrouve le marronnier et le tilleul : plus grands, plus vieux, majestueux…
Sur le coté, la porte de l’appentis est fermée. Je la voyais toujours ouverte quand il abritait le poulailler… « Péti! Péti !», j’entends mon grand père et je me revois, du haut de mes six ans, à l’heure d’appâturer les poules…
C’était un jeu irremplaçable et une joie véritable de planter mes mains dans le seau à graines. « Boulègue ! » disait mon grand père, s’amusant de ma joie. Je répandais à la volée la nourriture convoitée en répétant comme lui : « Péti! Péti !». Les poules accouraient de tous horizons, se disputant les graines… Très vite, il rouméguait : « Atal ! Quelles tchapaïres ! Fais attention à la glousse, elle pourrait t’escagasser » puis, mettant fin à ce moment enchanteur : « Nia prou ! Elles seront sadoules !»
Dès la fin de la semaine et à chaque vacance, nous embarquions tous dans la 4 CV. Mon père au volant, nous voilà partis pour 70 km de route cahotante qui me rendaient malade deux fois sur trois avant l’invention de la Nautamine. Trajet que nous connaissions par coeur à travers la campagne du Tarn et Garonne puis celle du Tarn… Parfois, la nuit tombait avant la fin du périple et nous avions alors la chance d’apercevoir dans la lumière des phares quelques lapins ou quelques lièvres.
L’hiver, quand nous arrivions, le feu éclairait la cheminée et le toupi chantait dégageant une bonne odeur de soupe de caoulét. Sortant de l’obscurité de la voiture ou peut-être d’un petit somme réparateur, il me fallait bien quelques minutes pour reconnaître les lieux ; les grands parents, comprenant cette déroute passagère, m’accueillaient avec douceur… Je retrouvais la cuisine : la cheminée que je devais approcher avec précaution ; l’évier en pierre avec les brocs de fer blanc que ma grand-mère allait remplir au puits ; au-dessus, le petit fénestrou, inaccessible et mystérieux ; et encore, le buffet, les chaises tout autour de la pièce et au milieu la grande table ronde, sous l’unique lampe qui projetait des ombres dans les coins.
Sans tarder, nous nous installions à table ; ma grand-mère soulevait le couvercle du toupi et nous servait à chacun une bonne assiettée de soupe. Avant de finir sa soupe, mon grand père n’oubliait pas de faire chabrot et c’était pour moi un privilège que d’avoir le droit de goûter un peu de ce breuvage original… Nous mangions ensuite les légumes qui avaient mijoté dans la soupe. Ma grand-mère avait amélioré le menu en ajoutant du farci qu’elle avait enroulé dans les feuilles du caoulet. C’était le mets préféré des enfants. Puis la salade, agrémentée de l’incontournable pain tchinché dont je n’appréciais guère le goût... Pour le dessert, ma grand-mère avait préparé les délicieuses farinettes dont elle avait le secret…
« Vous voilà bien rébiscoulés ! disait-elle, puis m’entrainant vers l’évier : « Viens donc faire un brin de toilette pour cette petite figure toute moustouse et ces doigts pegous. »
Le souper terminé, l’heure était déjà tardive et nous n’avions que quelques minutes pour nous réchauffer dans le cantou avant de nous glisser sous les édredons jusqu’au lendemain… Sous l’oeil attentif de mon grand père, j’en profitais pour jouer avec le bufadou, ranimant les braises d’où s’échappaient quelques flammes. « Allez la petiote, au nono ! » Ma grand-mère ne manquait jamais de venir me coucouner avant le passage du marchand de sable…
Je garde un souvenir inoubliable des matins d’été…
J’ouvrais doucement les yeux ; le soleil était déjà haut et traversait les volets projetant des bulles de lumière sur les murs de la chambre. Le calme était souverain, laissant toute la place au chant des oiseaux et aux bourdonnements des abeilles… J’imaginais sans les voir les grappes bleues de la glycine qui se balançaient doucement dans le vent léger du matin…J’entendais mon grand père qui revenait du jardin : « Quel cagnard ! J’ai pris une bonne susade ! Fais-moi un bon café… »
La voix de mon grand père et l’évocation du café me sortaient du lit. J’arrivais dehors, toute éblouie par la lumière. Parfois, le chien se précipitait vers moi en aboyant et, de surprise, je faisais un bond en arrière en criant. Mon grand père le rambaillait vivement : « Couché ! Tu vas prendre une rouste ! Ce gous est cabourd ! » Puis, se tournant vers moi : « Viens titoune, n’aie pas peur… » Je le suivais dans la cuisine, encore toute tremblante. Quand mon grand père s’était servi un verre de café, je disais timidement : « Moi aussi je l’aime le café. » « Plêti ? » me répondait-il, s’amusant de ma timidité et lorsque je lui répétais ma demande d’une voix plus assurée : « Alabéts, tu veux aussi du café ? » Puis il prenait un deuxième verre dans lequel il versait une larme de café allongée d’eau…
Les après-midis, ma grand-mère était souvent assise devant la porte ouverte de la maison, à l’ombre du marronnier. Sa voisine était là et elles blaguaient tout en raccommodant du linge. Ma grand mère pétassait une paire de pantalons avec une peille ; cela suffirait à mon grand père pour aller pelleverser le jardin. Le travail paraissait compliqué et ma grand-mère mascagnait ; la voisine lui donnait la main ; d’habitude, elle avait du biais… Puis, elle raccommodait des chaussettes, à l’aide d’une petite coloquinte en forme de cocoye. Je m’ennuyais et je jouais avec le contenu de la boite en fer qui abritait le matériel de couture.
Mais tout était dangereux : les aiguilles piquaient, les ciseaux coupaient, les pelotes de fils s’embrouillaient…
« Petite piotte, arrête de tchaoupiner dans cette boite ; tu vas te piquer et tout escamper ; joue plutôt avec le cocoye »… Magnanime, la voisine acceptait de me le donner se résignant à coudre sans l’aide précieuse ! Mais, je me lassais rapidement de cet objet sans relief et, l’abandonnant, je m’aventurais dans la maison, poussée par la curiosité, et j’entreprenais de monter à l’étage à la découverte du grenier. Les cris de ma grand-mère stoppaient mon élan : « Sors-toi de par les escaliers que tu vas capillier ! Viens plutôt jouer dans l’herbe, à tuter les grillons ou à faire roule-barricot … Mais, tache moyen de ne pas trop salopéjer ta robe que ta mère va répoutéguer ! ».
Tandis que je me laissais rouler le long de la pente herbeuse, à la recherche d’une ivresse enfantine, mon grand père arrivait et entreprenait de réparer mon ennui. « Viens, on va endormir une poule » Je lui emboîtais le pas, d’avance toute excitée. Il se lançait à la poursuite d’une poule qu’il attrapait sans difficulté : « Tu vois, me disait-il, celle là, c’est la plus gentille. Regarde bien, elle n’a pas l’air d’avoir sommeil, pourtant, elle va dormir ». Manipulant la poule avec précaution, il lui glissait la tête sous une aile, je croyais qu’il allait l’escaner ; mais non, il se mettait à la bercer et celle-ci devenait de plus en plus molle. Au bout de quelques secondes, il la posait dans l’herbe : la poule ne bougeait plus, elle dormait ! « Eh bé ! » disais-je, espantée ; j’étais en admiration définitive devant mon grand père magicien. Puis, il la bousculait doucement, la poule sortait alors de sa torpeur et s’enfuyait en caquetant bruyamment sans savoir ce qui lui était arrivé… « Allez, fini de bader ! me disait-il. Si tu es sage, je vais encore te montrer quelque chose mais il faut me promettre de ne pas toucher ! ». Évidemment, grand père, j’étais prête à tout promettre pour que la magie continue ! Il me conduisait alors dans la grange et, dégageant doucement l’accès vers un trou dans le mur, il m’invitait à regarder sans bruit : là, au fond du trou, j’apercevais un petit nid garni de plumes et quelques oisillons dont je ne voyais que le bec grand ouvert. Il remettait rapidement tout en place et m’éloignait quand je voulais encore rester devant le spectacle. « Ce sont des mésanges bleues, me disait-il. Elles font leur nid dans les murs mais on ne doit pas les déranger. » Il m’expliquait en quoi toute intervention de ma part serait catastrophique pour les oisillons et m’apprenait à repérer le va et vient des parents pour nourrir les petits. Enfin, il me faisait promettre de ne pas retourner seule vers le nid me disant que nous y reviendrions.
J’attendais avec impatience ce moment que je réclamais souvent à mon grand père. « Macaniche, s’es quicon ! Vous autres ne comprenez pas qu’il faut leur ficher la paix ! » Puis, un jour, il se décidait à m’amener de nouveau vers ce spectacle magique. Collant mon oeil et retenant mon souffle, je revoyais au fond du trou, le petit nid garni de plumes mais les oisillons étaient partis…
Quand nous revenions de la grange, ma grand-mère ramassait le linge. «Il a bien séché avec le soleil, disait-elle. Pourtant, aujourd’hui, il n’y avait pas un poil de vent. » Ensuite, elle allait remplir au puits les deux brocs en fer blanc. J’avais le droit de faire semblant de l’aider à tourner la roue qui remontait le seau au bout de la chaîne. L’eau était fraîche. Je me faisais vite gronder quand je tentais de monter sur la margelle du puits : « Bestiou, descend de là ; tu vas t’espatarrer ! »
Puis, se tournant vers mon grand père :
« Cette drôle est comme sa mère ! Los cocuts fan pas de agaças !
- Demain, je la prendrai avec le carretou », répondait-il et ça me mettait le coeur en fête !
Mon grand père était cantonnier, chargé de l’entretien des routes. Dans ce début des années 50, les engins mécaniques n’existaient pas : c’était avec la faux et la faucille qu’il coupait l’herbe qui poussait le long des fossés… Ainsi, les jours où il prévoyait du beau temps, il m’emmenait avec lui au bord des routes. Laissant le soleil monter un peu plus haut que d’habitude pour ne pas trop raccourcir mon sommeil, il casait dans son sac le pique-nique préparé par ma grand mère et une petite couverture ; il me calait, au milieu de tout cela, dans le carretou qu’il avait attelé à son vélo et nous voilà partis… Ce voyage, de quelques kilomètres à peine, avait le goût d’une aventure fabuleuse…
Au bord de la route, il m’installait sur la couverture avec interdiction de bouger. Coincée entre les champs et la route, je trouvais le temps long mais je n’en disais rien tant j’étais fière de partager ces moments avec lui… Je l’observais : il actionnait sa faux avec prudence et précision ; l’herbe se couchait inexorablement. Puis, il prenait la faucille pour les endroits plus inaccessibles. Parfois, il dénichait dans un bartas une famille de hérissons ; il m’invitait alors à m’approcher silencieusement pour ne pas effrayer les animaux et avoir ainsi le loisir de les découvrir autrement que sous la forme d’une boule d’épines. J’en étais toute estabousie et je m’émerveillais surtout en admirant les petits dans leur fragilité. Il m’apprenait aussi à reconnaître les repounsous, ces jeunes pousses vertes au goût amer dont les adultes étaient friands. Entre deux coups de faucille, il ne manquait pas de les ramasser. Aujourd’hui, la récolte était abondante et mon grand père s’en réjouissait.
Quand le soleil était haut, il posait ses outils contre un platane et s’essuyait le front avec un large mouchoir ; puis, ayant rajusté son béret qu’il ne quittait jamais, il sortait de la poche de son veston sa montre ronde reliée par une chaîne : « Il est midi, c’est l’heure de dîner », disait-il. Je me rapprochais alors du sac qui contenait le pique-nique ; mon grand-père faisait mine de me gronder pour calmer mes ardeurs : « Siouplet ! Doucement… » Et distribuait lui-même le repas. Ma grand-mère avait mis des restes de poulet à déguster froids avec un croustet. Pour mon grand père, elle avait réservé le currou qui était son morceau préféré car c’est là que se trouve le « sot l’y laisse ». Pour le dessert, quelques pêches qui avaient été un peu espouties par le voyage. Au fond du sac, enveloppé dans un fin papier, un paquet mystérieux nous intriguait : « Qu’es aquo ? disait-il d’un air malicieux. C’est une chocolatine pour ton quatre heures ! » faisait-il mine de découvrir alors qu’il l’avait lui-même achetée chez le boulanger à la première heure du jour… Il revenait encore aplatir quelques herbes hautes pendant que, pour lui faire plaisir, je faisais semblant de faire la sieste. Ensuite, j’avais le droit de déguster la chocolatine… Enfin, sentant que ma patience arrivait à son terme, il rangeait les outils en disant : « Tu as été bien balente ; on va s’en retourner. »
Tous les soirs, mon grand-père aiguisait sa faucille et la grande lame de la faux. Ma grand-mère, assise sur un tabouret, actionnait la manivelle et faisait tourner la lourde meule ronde partiellement trempée dans l’eau. En face, debout, dans un geste sûr et précis, mon grand père appuyait la lame sur le haut de la meule. La lame dansait sur la meule au rythme de la longue plainte qui naissait de l’affrontement entre l’acier et la pierre. L’eau baignait la meule puis éclaboussait sous la pression de la lame : un vrai ballet ! Le moment était empreint de gravité et même de solennité : l’outil était au centre de la scène ! Si j’étais là, je ne devais pas bouger et ne rien dire. Parfois, occupée ailleurs, je n’assistais pas au début de la scène ; c’était alors le cri de la faux qui m’appelait, je lâchais tout pour aller assister au spectacle sacré !
Quand les vacances étaient finies, la famille embarquait dans la 4 CV et prenait le chemin du retour. Les coeurs étaient gros… Ma grand-mère me conviait secrètement dans la cuisine et attrapait sur le rebord du fénestrou une petite fiole qu’elle remplissait d’eau en y ajoutant quelques gouttes d’antésite. « Tu la boiras pendant le voyage, me disait-elle, ainsi, tu ne seras pas malade ».
Je repartais, emportant dans cette fiole au goût d’anis, toute la tendresse de ces vacances ensoleillées.
Françoise Blanc
Je remercie M. Bernard VAVASSORI qui, grâce à son dictionnaire*, m’a permis de retrouver les expressions de mes grands parents et a rendu ainsi mes souvenirs plus vivants.
*« A BISTO DE NAS » Dictionnaire des mots et expressions de la langue française parlée dans le Sud-Ouest, et de leurs rapprochements avec l’occitan, le catalan, l’espagnol, l’italien et l’argot méridional – Bernard Vavassori - Editions Loubatières 2002